Le compte-rendu final de l'édition 2023 des rencontres UNIDEF est désormais disponible.
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La 14ème édition Rencontre Université-Défense de Québec (UNIDEF) a réuni divers membres du corps académique et militaire canadien à l’Université Laval le 23 mars 2023. Comme chaque année, la tenue de cette journée est le fruit d’une collaboration entre l'Institut militaire de Québec et le Centre sur la sécurité internationale.
Les crises sécuritaires actuelles représentent un enjeu majeur à l’échelle internationale et méritent que l’on y apporte des solutions urgentes et convenables. C’est du moins ce qu’ont rappelé le président de l’Institut militaire de Québec, Brigadier-général (retraité) Richard Giguère, et la directrice du Centre sur la sécurité internationale, Anessa Kimball, dans leurs propos liminaires. Cette 14e édition de l’UNIDEF s’est déroulée en quatre tribunes respectivement modérées par Philippe O’Brien, Olivier Bichsel, Olivier Fournier, et Chloé Duffort.
Dans son mot de bienvenue, à travers une série d’interrogations, l’honorable J. Michel Doyon, Lieutenant-gouverneur du Québec, a tenu à justifier le contexte de la tenue de cette 14e conférence qui repose sur des thématiques telles que l’avenir de la sécurité mondiale, la politique de défense nationale canadienne et internationale, l’impact des conflits contemporains sur les institutions internationales et sur la géopolitique mondiale. « 78 ans après sa création, l’ONU a-t-elle réussi à prévenir les guerres et les conflits ? A-t-on raison de croire que le droit de véto a toujours sa raison d’être ? Comment l’ONU peut-elle répondre à des problèmes nouveaux dont la résolution est essentielle au maintien et à la survie de l’humanité ? », a introduit Michel Doyon.
Selon lui, les velléités nationalistes et idéologiques du 20e siècle semblent refaire surface sous une autre forme au 21e siècle. Inflations, changements climatiques, crises énergétiques, contexte post pandémique, ampleur du conflit européen et engagement militaire majeur peuvent servir d’exemples. Les Nations unies constituent une institution importante qu’il faut réadapter au monde en pleine mutation afin qu’elle puisse efficacement jouer leur rôle de maintien de la paix et de la survie de l’humanité et des peuples. Si l’OTAN se révèle aussi importante que l’ONU, c’est parce qu’elle a permis aux États-Unis d’Amérique de se rapprocher de leurs alliés européens et de renforcer leur collaboration contre de nombreuses menaces. Michel Doyon pense qu’elle devra néanmoins relever plusieurs autres défis liés à la cohésion internationale. L’autre défi mondial est celui de la désinformation, car les institutions et les systèmes démocratiques peuvent se montrer très vulnérables face à la déformation des faits, a soulevé Michel Doyon.
Dans la conférence d’ouverture, au sujet de la Politique de sécurité et de défense du Canada, le Lieutenant-général Jocelyn Paul, Commandant de l’armée canadienne, a mentionné qu’il s’agit d’une politique à trois piliers : protection du Canada, sécurité en Amérique du Nord et engagement du Canada à travers le monde. « En raison des bouleversements récents dans le monde, le gouvernement canadien a décidé que cette politique soit mise à niveau », a-t-il poursuivi. Dans ses propos, il met un point d’honneur sur les opérations Réassurance et Unifier conduites par les Forces armées canadiennes depuis 2014 avec un déploiement de près de 1100 militaires canadiens. Il en ressort que l’opération de Réassurance a permis de contribuer à la sécurité de la Pologne et des pays baltes grâce à l’appui d’environ 700 soldats canadiens tout en dissuadant la Russie et la Biélorussie. Quant à l’opération Unifier, elle a permis de former plus de 35 000 militaires ukrainiens et même des civils ukrainiens désireux de défendre leur pays en utilisant la stratégie de l’ « adaptive dispersed operations ». « Le Canada a été le premier pays à fournir des chars d’assauts en sol polonais en soutien aux troupes ukrainiennes dans leur guerre contre la Russie. L’invasion de l’Ukraine et les différentes tensions dans le monde rappellent la pertinence d’avoir des forces armées canadiennes capables de se déployer rapidement aussi bien au Canada qu’à l’étranger », a indiqué le Lieutenant-général Jocelyn Paul. Par ailleurs, la politique de défense canadienne propose des programmes « IDEAS » et « MINDS » qui impliquent la participation du corps académique aux recherches en informatique quantique et aux innovations en matière de sécurité.
La première tribune porte sur l’Organisation des Nations Unies (ONU). En évoquant son expérience au cours des missions de paix exécutées en République Démocratique du Congo (RDC), le Lieutenant-colonel Frédéric Harvey a rappelé que la guerre du Congo est la plus meurtrière depuis ses débuts en l’an 2000 avec plus de 5 millions de morts déjà enregistrés. L’ONU y a déployé près de 15 000 casques bleus dans le but d’y imposer la paix, protéger les civils, réhabiliter la souveraineté de la RDC et éliminer l’ennemi. Toutefois, les troupes de l’ONU sur le terrain se sont souvent révélé difficiles à coordonner sous un mandat peu flexible. Sarah-Myriam Martin-Brûlé, professeure titulaire à l’Université Bishop’s, a insisté sur l’étendue géographique des conflits, les enjeux de négociations et les obstacles rencontrés dans les pays accueillant les casques bleus. Pour elle, l’une des priorités de l’ONU devrait concerner la problématique de désinformation et de cybersécurité en y associant les acteurs capables de se servir des réseaux sociaux pour mettre fin aux conflits. Dans ce sens, le Canada devrait pouvoir proposer des formations pertinentes et ses services en surveillance ISR (Intelligence – Surveillance – Reconnaissance). Louise Blais, diplomate en résidence à l’ESEI, ancienne ambassadrice et représentante permanente adjointe du Canada à l’Organisation des Nations unies de 2017 à 2021, a pour sa part livré son analyse sur la controverse autour du droit de véto et les possibilités pour les états membres de l’ONU et du conseil de sécurité de faire face à la paralysie de l’organisation. « La Russie a utilisé son droit de veto 29 fois depuis 1991 et 2 fois depuis le 25 février 2022, immédiatement après l’invasion en Ukraine, puis après l’annexion des territoires ukrainiens. Les 43 séances publiques consacrées à la situation en Ukraine sont restées infructueuses. L’Assemblée Générale de l’ONU a de ce fait adopté deux résolutions : l’une exigeant que l’usage du droit de veto soit justifié et l’autre condamnant l’invasion russe en Ukraine avec 141 Oui, plusieurs abstentions, 5 Non. », a précisé Louise Blais. Elle préconise que l’article 27 de la Charte des Nations unies soit réellement appliqué aux membres permanents du conseil de sécurité lors des votes de décision. Aussi, mentionne-t-elle qu’il serait préférable de voter des décisions à caractère procédural car elles ne sont pas contraintes au droit de veto.
Dans la deuxième tribune, il a d’abord été présenté l’Union européenne ainsi que ses compétences en matière de paix.
À la question de savoir si l’Union européenne (UE), est devenue carnivore, Guillaume Lasconjarias, directeur des Études et de la Recherche à l’Institut des Hautes Études de Défense Nationale, a fait remarquer que l’UE a financé 5,7 milliards d’euros d’achat d’équipements militaires pour armer l’Ukraine contre l’invasion russe. Elle est donc passée de puissance normative, que lui conférait l’adoption de la facilité européenne de paix en 2021, à puissance militaire en 2023. Depuis la guerre en Ukraine, l’UE a adopté plusieurs sanctions et a, en conséquence, été beaucoup plus efficace que l’OTAN. Elle devient plus active dans les conflits armés avec la matérialisation d’instruments de sécurité et de défense. La prise de conscience d’un besoin vital d’autonomisation stratégique européenne vis-à-vis des États-Unis devient alors une évidence. Le Major Sébastien Bouchard s’est focalisé sur la méthode de dissuasion à la fois militaire et étatique de l’UE qui combine des forces étatiques et militaires afin de convaincre un autre État par la force de coercition militaire d’agir d’une façon donnée. Parmi les facteurs qui permettent de déterminer l’efficacité de la mise en œuvre d’une stratégie de dissuasion, figurent principalement la motivation de l’agresseur, la communication et la crédibilité du pays qui applique la dissuasion. Au regard des conflits qui subsistent en Ukraine, le Major Sébastien Bouchard a donc proposé que soit pensé et exécuté un plan de campagne pour synchroniser et renforcer les efforts entre l’OTAN et l’UE, puis appliquer la suspension de l’acte fondateur OTAN–Russie de 1997. Il a aussi proposé que le Canada s’engage davantage dans la lutte contre la propagande russe. Selon Mulry Mondélice, professeur au Collège militaire royal, l’UE s’est affirmée en acteur humanitaire majeur depuis les années 1990. La complexité des crises justifie les défis auxquels elle est confrontée en termes de cohérence, de coordination et de coopération entre les états membres de l’Union d’une part, et entre l’UE et d’autres acteurs du système humanitaire, d’autre part. Pour une meilleure gestion des crise humanitaires à l’échelle mondiale, il faut impliquer les organisations locales et institutions nationales des droits humains. Il faut également renforcer la coopération entre l’UE, le Canada, les États-Unis d’Amérique avec les pays concernés par lesdites crises humanitaires.
Les panélistes de la troisième tribune sont intervenus sur l’Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN).
Pierre Jolicoeur, professeur au Collège militaire royal du Canada, a expliqué comment l’invasion de l’Ukraine par la Russie a rapidement altéré le paradigme de l’ordre international et affecté l’avenir de l’OTAN. En effet, puisque les États-Unis sont les premiers contributeurs de l’OTAN, ses défis au Moyen-Orient sont susceptibles d’influencer l’attention que porte l’Alliance envers l’UE. L’OTAN pourrait alors être amenée à faire des choix déconcertants entre l’Asie et l’Europe. Ariane Théroux-Samuel, Directrice adjointe à la direction des politiques de l’OTAN, a émis la suggestion suivante. Si l’un des objectifs majeurs de l’OTAN est de maintenir des forces militaires crédibles pour contester, dissuader et défendre ses membres contre toute menace, cette alliance devrait alors agir avec prudence pour ne pas provoquer une confrontation directe avec ses pays membres y compris la Russie et surtout préserver l’efficacité de l’alliance. En ce qui concerne son implication dans la situation actuelle en Ukraine, l’OTAN fournit son soutien politique, économique, humanitaire et militaire à l’Ukraine. À sa suite est intervenu Maxime Philaire, président de l’Association OTAN Laval qui participe chaque année à une simulation de l’OTAN (International Model NATO) à Washington DC. Il a observé que l’OTAN connaît une nette évolution. L’Alliance est passée d’un statut de « mort cérébrale » à une proactivité remarquable en raison de l’actuelle guerre en Ukraine qui lui a redonné sa légitimité. Alexandre Massaux, chercheur associé à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), s’est quant à lui intéressé à la stratégie américaine en Europe centrale. Il rappelle qu’il existe un partenariat très étroit entre les pays d’Europe centrale et les États-Unis. La Pologne illustre fortement cet état de chose quand on sait qu’elle préfère collaborer avec les États-Unis plutôt qu’avec la Russie ou la Chine sur plusieurs plans dont celui de l’approvisionnement massif en matériels militaires américains ou encore sud-coréens. Cependant, quelques facteurs ont tendance à limiter la stratégie américaine dans l’Europe centrale : des problèmes internes aux États-Unis liés à la division entre les doctrines du Wilsonisme et du jacksonisme ; des critiques de certains alliés européens ; une montée en puissance de la Chine. Plus loin, Yves Brodeur, ancien ambassadeur et représentant permanent auprès du Conseil de l’Atlantique Nord (OTAN), précise que la crédibilité de l’OTAN repose sur ses membres et leurs capacités à contribuer à l’atteinte des objectifs de l’Alliance. Ainsi, le Canada pourrait apporter un élan constructif sur les questions de l’intelligence artificielle au sein de l’OTAN. Les questions d’accès à l’eau et a l’énergie devraient également constituer des priorités pour l’OTAN. De plus, le Canada devrait essayer d’intégrer le premier cercle de prise de décision au sein de l’OTAN s’il est réellement soucieux de faire valoir ses propositions.
La quatrième tribune de l’UNIDEF s’est consacrée au Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD) et à la région de l’Arctique.
Le NORAD, cette organisation qui travaille en accord avec des partenaires de défense au Canada, aux États-Unis et à l’extérieur du continent américain, s’est assigné des missions d’alerte aérospatiale, des missions de contrôle aérospatial et des missions d’alerte maritime. A ce sujet, le Lieutenant-général Alain Pelletier, commandant adjoint du NORAD, a rassuré que face aux attaques tous azimuts sur les plans de la cybernétique et de l’information, l’organisation entend évoluer et renforcer ses partenariats actuels avec plusieurs commandements du Nord dans différents domaines de la sécurité. L’autre défi du NORAD réside dans la nécessité d’une présence persistante en vue d’une adaptation rapide en cas de missions imprévues. Et pour cela, l’organisation est soutenue par le gouvernement canadien et le congrès américain. Le NORAD s’est donc modernisé en faveur d’une exécution plus pertinente et efficace de ses activités. C’est ce que confirme justement Andrea Charron, professeure agrégée d’études politiques à l’Université de Manitoba, qui a indiqué après une présentation du cadre de création de cette organisation dans les années 1960, que les avancées du NORAD en termes de technologie vont évoluer et se moderniser au fil des années de sorte à faire une énorme différence avec le NORAD des années 1960. Par ailleurs, il est ressorti d’un sondage réalisé par Ross O’Connor, ex-conseiller aux affaires étrangères et à la sécurité nationale auprès du premier ministre Stephen Harper et conseiller principal en politiques auprès des ministres des Affaires étrangères et de la Défense, que le public canadien est généralement très favorable au NORAD qu’il assimile à une arme protectrice. C’est effectivement la première ligne de défense du Canada mais l’investissement financier du gouvernement Canadien reste insuffisant en la matière.
Au-delà des questions de l’OTAN et du NORAD, Pauline Pic, professeure agrégée de géographie, postdoctorante à l’École supérieure d’Études internationales de l’Université Laval, s’est penchée sur les enjeux sécuritaires en arctique et l’importance d’une coopération dans ce domaine menacé par le phénomène des changements climatiques. Selon ses recherches, avoir des États qui sont à la fois coopérants dans le conseil de l’Arctique et au sein de l’OTAN pourrait causer une collision entre les enjeux atlantique nord et les enjeux arctiques si on exclut totalement la Russie des tables des négociations. Le conseil de l’Arctique a certes été pendant longtemps le garant d’une coopération régionale et multilatérale. Mais, l’on fait actuellement face à un risque d’« atlantisation » de l’arctique du point de vue politique et sécurité.
La séance de clôture de la 14ème édition de l’UNIDEF est marquée par l’intervention de Bob Rae, ambassadeur et représentant permanent désigné auprès des Nations Unies à New York. À la question de savoir comment le Canada peut s’affirmer sur l’échiquier mondial, l’ambassadeur a fait comprendre que l’influence du Canada dépend de sa volonté de participer effectivement aux questions de paix, de sécurité et de développement. Il a précisé que le monde traverse actuellement une période difficile dont les sources se trouvent dans les réponses militaires des États-Unis et leurs alliés depuis l’époque des guerres en Irak, en Afghanistan, etc. Les questions de la vie sociale et de l’économie ont des impacts sur l’état de la sécurité dans le monde. Par conséquent, de meilleures décisions doivent être prises pour éviter aux futures générations de subir les conséquences des conflits passés et actuels.
Le mot de fin de cette conférence est revenu à Philippe Bourbeau, directeur de l’École supérieure d’études internationales de l’université Laval. Ce dernier a souligné le bien-fondé de l’UNIDEF qui répond à un besoin de dialogue et de connexions entre acteurs universitaires et de la défense. Il a ensuite reconnu les efforts des organisateurs de ces rencontres sans oublier de relever l’importance des formations dispensées à l’Université Laval.
