Note de breffage politique rédigée par Elisabeth Hayes, étudiante en Études internationales et langues modernes à l’Université Laval dans le cadre du cours de Prof. Anessa Kimball (POL-2333 : Sécurité Internationale).
Objet : Pour une prise de position et une action prompte vis-à-vis de la violation d’un traité international et une population dont les droits fondamentaux sont violés.
Résumé : Le Canada, en tant que membre de la Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, possède un pouvoir d’action devant la situation des femmes afghanes persécutées par le pouvoir Taliban. L’Afghanistan, en violation de ce traité, peut être poursuivi par le Canada devant la Cour Internationale de Justice, permettant aux femmes afghanes de se défendre devant le pouvoir Taliban. Une telle intervention de la part du Canada ne requiert pas une nouvelle prise de position et ne représente pas de risque ou de menace à sa sécurité, comme celui-ci s’est déjà explicitement opposé au pouvoir Taliban et impliqué dans le conflit afghan depuis 2001.
Télécharger le format pdf ici.
CONTEXTE
L’Afghanistan était un pays déjà plutôt pauvre, dû à de nombreuses catastrophes naturelles et son isolement international, avant le renversement du pouvoir politique par les Talibans en août 2021, qui le plongea dans une grave crise politique et humanitaire. Depuis cette prise de pouvoir, les Talibans ont imposé des mesures extrêmement restrictives envers les femmes et les filles, des mesures représentant des flagrantes violations de leurs droits fondamentaux (à l’encontre de la Déclaration Universelle des Droits Humains de l’ONU) : accès aux études, au système de santé, au marché du travail, au système judiciaire, participation à la vie publique et politique, etc. Ils ont entre autres fermé le Ministère des Affaires féminines. Ces abus vont aussi à l’encontre de la Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), ratifiée par l’Afghanistan en 2003.
Le Canada est lui aussi membre de la CEDAW, en plus de posséder une Politique d’aide internationale féministe, dont le champ d’action n°5 prévoit entre autres la défense de la gouvernance inclusive et des droits de la personne. Le Canada, avec les Pays-Bas, a intenté en juin dernier une poursuite contre la Syrie devant la Cour Internationale de Justice (CIJ) pour des actes allant à l’encontre de la Convention des Nations Unies contre la torture, qu’il a d’ailleurs gagnée.
La position du Canada face au pouvoir Taliban est claire : le 15 août 2021, l’ambassade canadienne à Kaboul a cessé ses activités après leur prise de pouvoir. Tel que cité sur le site du Gouvernement du Canada : “In response to growing Taliban human rights violations, Canada strongly advocates for coordinated efforts by the international community to press the Taliban to respect international humanitarian law, and uphold human rights, in particular, the full rights of women, girls and ethnic minorities. Canada also calls for the formation of an inclusive and representative Afghan government.”
ANALYSE
Il faut considérer ici l’aspect légal de la chose. Les actes des Talibans et les mesures imposées, plus particulièrement dans la restriction des droits des femmes, sont en violation à la Déclaration universelle des droits humains (notamment, mais non limité à, l’article 2), adoptée en 1948 par les Nations Unies, et ratifiée par l’Afghanistan. Cependant, ce document n’a pas de portée légale en soi. L’Afghanistan (ou les Talibans) ne peuvent donc pas y être opposés.
Toutefois, l’article 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice cite les différentes sources du droit public international, dont ‘les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées’. Malgré l’archaïsme du terme ‘civilisées’, il peut être possible de conclure à partir de cet article qu’un document ratifié (même à titre de recommandation plus que d’obligation) par 192 États contient des ‘principes généraux de droit reconnus’ par ces 192 États.
Mais plus encore, tel que mentionné plus haut, le Canada et l’Afghanistan sont tous deux membres de la Convention pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, un traité qui, contrairement à la DUDH, possède une portée juridique. Ratifié par le Canada en 1981, et en vigueur conformément aux modalités du traité, depuis l’obtention de 20 ratifications en 1980, l’Afghanistan en est aussi membre depuis 2003. En le ratifiant en 2003, l’Afghanistan a exprimé son consentement à y être lié. De plus, le texte du traité prévoit qu’un État parti peut se présenter devant la CIJ contre un autre État parti lorsqu’il constate une violation du dit traité : « CEDAW allows states that are parties to the treaty to bring to the ICJ disputes with other states parties “concerning the interpretation or the application” of the convention not settled by negotiation or arbitration. » (Human Rights Watch). Donc, en tant qu’État parti à ce traité, le Canada peut saisir la CIJ après constatation d’une violation de ce traité d’un autre État, soit l’Afghanistan.
ENJEUX STRATÉGIQUES
À l’exception des coûts en ressources humaines d’intenter une poursuite contre l’Afghanistan, une telle prise de position ne représente pas vraiment de coûts pour le Canada. Les conséquences de ne rien faire surpassent ceux-ci. En effet, une inaction de la part du Canada et de la communauté internationale établit un dangereux précédent pour les droits des femmes partout dans le monde : on peut priver les femmes de droits fondamentaux sans représailles. De plus, une prise de position neutre devant une situation aussi grave risque une perception d’hypocrisie du Canada, qui se dit féministe et défenseur des droits et libertés fondamentales. Sa crédibilité sur la scène internationale pourrait en être affectée, voir remise en question dans le futur.
De plus, les risques sécuritaires sont quasi-inexistants pour le Canada, qui s’est à plusieurs reprises impliqué auprès de l’Afghanistan sans représailles. Visiblement, l’Afghanistan ne possède pas la capacité d’action nécessaire pour s’en prendre au Canada (et ses alliés).
RECOMMANDATIONS
Comme l’acte de poursuivre l’Afghanistan devant la Cour Internationale de Justice représenterait des coûts et des risques de sécurité/ stratégiques minimes, le Canada devrait se doter du mandat de donner un moyen d’action aux filles et aux femmes afghanes, en concordance avec sa politique d’aide internationale féministe.
En tant que gouvernement féministe et pays défenseur des droits fondamentaux, la saisie de la Cour Internationale de Justice dans le cas de la protection des droits des femmes afghanes représenterait une bonne opportunité pour le Canada d’entreprendre des actions concrètes dans cette direction et d’entretenir son image positive à l’international.
De plus, mobiliser l’action des organisations internationales et de la diaspora afghane au Canada afin de prêter leur voix aux femmes afghanes qui en sont privées, sensibiliser l’opinion publique vis-à-vis leur cause et susciter l’attention de la communauté internationale face à l’enjeu permettrait de bâtir un front commun contre les talibans, et se présenter devant la cour avec des alliés sur la question, comme il a été fait contre la Syrie, avec l’aide des Pays-Bas.