Note de breffage politique rédigée par Gaspard Rabin, étudiant en Science Politique à l’Université Laval dans le cadre du cours de Prof. Anessa Kimball (POL-2333 : Sécurité Internationale).
Objet : La France face aux revendications malgaches des îles Éparses : comment maintenir une présence militaire, une légitimité et une influence dans la région ?
Résumé : Atouts et leviers de puissance maritime pour la France, les îles Eparses sont revendiquées depuis 1973 par Madagascar. Dans un contexte de perte d’influence française en Afrique et de déplacement de la région Indopacifique au centre des préoccupations, la France doit dès maintenant se donner les moyens de maintenir une présence militaire, une légitimité et une influence dans ces régions. Face à la concurrence chinoise et russe, il est crucial pour la France de développer un multilatéralisme avec les pays frontaliers, de renforcer ses alliances, en particulier avec l’Inde, et d’amener l’Union Européenne à soutenir cette initiative en développant une véritable politique Indopacifique.
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CONTEXTE
Les îles Eparses, situées dans le canal du Mozambique et au large de Madagascar sont revendiquées depuis 1973 par les gouvernements successifs malgaches. Ces îles, constituées de l’archipel des Glorieuses et des îles de Juan de Nova, de Bassas da India, d’Europa et du Tromelin, laquelle est revendiquée par l’île Maurice, sont intégrées en tant que 5e district des TAAF en 2007. Tandis qu’elles sont séparées par décret en 1960 de Madagascar par l’ancien président français, Charles De Gaulle, deux recommandations non contraignantes de l’ONU en 1979 et 1980, somment la France d’entamer des négociations avec Madagascar afin de remédier aux actes de violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale malgache.
Malgré ces recommandations et les tentatives de rapprochement entre les deux gouvernements par une commission mixte en 2019, la France refuse de rendre à Madagascar ces îles Eparses. En déplacement à Grande Glorieuse, E. Macron a rappelé l’importance de ces îles pour la métropole « Ici c’est la France, notre fierté, notre richesse […] », créant ainsi la colère de son homologue malgache et le mécontentement de la population, très attachée à cette question. Dans un contexte de montée du nationalisme et en parallèle de l’échec de la négociation et du refus de la cogestion par la France, le sentiment anti-français se développe. La France doit non seulement, faire face à un déclin de son influence en Afrique de l’Ouest et australe, mais aussi composer avec la concurrence d’autres acteurs, notamment russes et chinois.
Les îles Eparses, par leur positionnement géographique entre l’Afrique et l’Indopacifique constituent un socle stratégique majeur en terme de sécurité, d’économie et de soft power. Cette note politique a donc pour objectif d’amener la France à renforcer sa présence aussi bien en Afrique australe que dans l’Indopacifique. Cette note évaluera quels sont les intérêts français à maintenir sa souveraineté sur les îles Eparses et examinera les risques et menaces d’une perte d’influence croissante dans ces régions. La question est de savoir si la France a les moyens de s’y maintenir et quel rôle peut-elle aspirer à y jouer ?
Les Iles Eparses, atouts de puissances entre l’Afrique et l’Indopacifique
La France dispose aujourd’hui de la seconde plus grande ZEE mondiale, derrière les Etats unis avec près de 11 millions de km2. Les FOM (France d’outre-mer) représentent 97% de cette ZEE et les îles Eparses constituent à elles seules 6% du domaine maritime français. Début 2023, lors de son discours aux armées, le chef de l’Etat a rappelé l’importance des outre-mers pour la France et la nécessité d’en garder le contrôle et la souveraineté « en particulier dans le Pacifique et l’Océan Indien ». En effet, les îles Eparses participent grandement à la construction de la puissance maritime française, par la ZEE mais aussi par sa biodiversité, ses réserves d’hydrocarbures et son positionnement stratégique qui permettent à la France d’entretenir des relations transfrontalières avec de nombreux pays et de s’imposer comme un acteur important de la région Indopacifique et d’Afrique australe.
Ces îles disposent de ressources naturelles et d’une biodiversité inestimables. En plus de la faune et la flore, elles sont un lieu prisé d’études du changement climatique. Des tensions persistent au sein de la CCAMLR (Commission for the Conservation of Antarctic Marine Living Resources) sur la question de la préservation de cet environnement. La présence scientifique et militaire sur ces îles inhabitées, accordent à la France la possibilité de maintenir sa souveraineté. Dans le même temps, du fait de leur statut de PTOM (Pays et territoire d’outre-mer), les îles Eparses procurent aux pêcheurs français un avantage quasi exclusif dans l’exploitation halieutique, notamment de la Légine, dans cette zone. Le canal du Mozambique est alors sujet à un risque élevé d’activités illicites, en particulier la pêche non-règlementée et illégale.
Le Canal du Mozambique, dont la moitié est formée par la ZEE française est une voie maritime considérable empruntée annuellement par 30% de la production de pétrole mondiale. Au niveau Sécurité et Défense, les îles Eparses sont au cœur des régions stratégiques puisque l’Océan indien est au centre de rivalités régionales et mondiales entre les EUA et la Chine. L’investissement économique, culturel et environnemental permet l’influence et le rayonnement français dans cette région, mais aussi en Afrique australe. Ces zones forment des opportunités énormes pour la France mais aussi pour l’Union Européenne, puisque cette première est le seul pays membre à disposer de manière permanente, d’une présence territoriale et militaire dans l’océan indien. Proches de Madagascar, de l’Afrique du Sud, de l’Inde et de la Chine, les îles Eparses constituent avec la Réunion un point d’appui stratégique du fait de sa proximité avec la SADC (Southern African Development Community), l’IORA (Indian Ocean Rim Association) ou encore la COMESA (Common Market for Eastern and Southern Africa).
La présence militaire française est donc cruciale. La FAZSOI (Forces armées de la Zone Sud de l’Océan Indien) joue un triple rôle, à avoir la surveillance du canal du Mozambique (en coopération avec la Commission de l’Océan Indien), la lutte contre les activités illicites dans la région (piraterie, commerce et pêche illégale) et celui d’agent de soft power en soutenant les victimes de catastrophes naturelles.
Risques et menaces de perte d’influence et de souveraineté
Depuis le coup d’État de 2009, la question des îles Eparses est devenue un point de friction majeur entre la France et Madagascar, exacerbant les tensions et nourrissant un sentiment antifrançais, en raison du développement d'un nationalisme accru dans la région. La concertation nationale sur le sujet en 2019 démontre un élan et un attachement populaire au règlement de ce contentieux. Les revendications malgaches, s’appuyant sur le principe de l’uti possidetis juris et la critique d’une délimitation unilatérale, amènent le président Andry Rajoelina à dénoncer une « décolonisation inachevée » à l’ONU en 2021. En outre, les autorités malgaches bénéficient du soutien unanime de la SADC à cet égard.
Imbriqué dans une logique de concurrence, notamment avec la Chine et la Russie, l’enjeu dépasse celui des îles Eparses et vient interroger la sphère d’influence française à Madagascar et plus largement en Afrique australe. Comme en Afrique de l’Ouest, l’image de la France se dégrade dans l’opinion publique. Les slogans anti-impérialistes et hostiles à la présence française sont de plus en plus récurrents au sein des manifestations.
La stratégie des nouvelles routes de la soie et son déploiement économique, culturel et militaire en Afrique et à Madagascar, n’est désormais plus une nouveauté. Par son investissement, la construction d’infrastructures et le développement de son soft power à travers les médias ou les instituts Confucius, la Chine s’impose comme un acteur incontournable partout sur le continent africain. Depuis une dizaine d’années, les autorités chinoises tentent un rapprochement avec les élites malgaches. Ces relations se traduisent notamment par une coopération en matière de défense (formations, stages, etc.). Si la Chine n’est pas encore implantée militairement à Madagascar, l'implantation exclusivement commerciale dans le port de Narindra suscite des interrogations, d’autant plus qu’elle est dorénavant implantée à Djibouti depuis 2017. L'attitude ambiguë de Madagascar à l'égard de l'Ukraine reflète un rapprochement sino et russo-malgache, ainsi qu'une distance croissante avec les puissances occidentales. Si la Russie ne s’est pas prononcée sur la question des îles Eparses, les relations économiques et militaires ainsi que les liens étroits russomalgaches amènent la France à prendre en considération cette « concurrence » en termes de sphère d’influence en Afrique australe, en particulier à Madagascar, et dans une moindre mesure au sein de l’Océan Indien.
RECOMMANDATIONS
Face à la perte d’influence dans la région et face à la concurrence de la Chine et la Russie, la France doit mener une politique de dissuasion, renforcer les partenariats auprès des pays de la région, des organisations internationales et de ses alliés, tout en s’imposant comme une puissance légitime autonome. La France ne doit pas reproduire les erreurs commises en Afrique de l’Ouest, elle est tenue de maintenir et renforcer ses relations stratégiques, économiques et de développement en Afrique australe. Elle doit développer un multilatéralisme de l’Afrique à la Mer de Chine méridionale.
Dans un premier temps, la France doit rouvrir le dialogue avec les autorités malgaches sur la question d’une gestion partagée des îles dans le domaine environnemental. Cette main tendue à l’Etat et au peuple de Madagascar, permettrait d’améliorer d’une part l’image de la France et d’autre part, lui accorderait une légitimité plus importante dans la région. Quelle crédibilité la France a-telle dans ces demandes de respect du droit de la mer, lequel lui est si chère, alors qu’elle ne respecte pas les principes de droit des peuples et les résolutions, bien que non contraignantes, de l’ONU ? Cette cogestion n’aurait pas d’incidence sur la souveraineté française au sein des îles Eparses, ni sur sa ZEE.
Il est essentiel de renforcer la présence militaire française dans la zone par le biais des ententes bilatérales et des partenariats, afin de conforter sa souveraineté dans les îles Eparses et endosser le rôle de puissance crédible dans la défense de la libre circulation. Si la France a l’ambition de s’imposer comme une puissance en Indopacifique, les moyens déployés sont aujourd’hui insuffisants. Elle ne peut compter sur la puissance américaine et son alliance AUKUS avec l’Australie et le Royaume Uni, et ne doit pas chercher à l’intégrer. La France est tenue de maintenir le dialogue avec la Chine mais ne doit pas sous-estimer la menace qu’elle constitue, ni se méprendre sur ses intentions.
Il est primordial de consolider les relations avec l’Inde avec laquelle le partenariat stratégique de 1998 est toujours en vigueur. La feuille de route pour 2047 appelle à un renforcement de la coopération dans la région. En plus des contrats de vente d’armes, de transfert de technologie, de l’exercice naval bilatéral VARUNA et de la coopération satellite, il est crucial de renforcer les relations économiques avec l’Inde et d’en faire un partenaire privilégié. La France doit organiser des exercices conjoints et mettre en place des coopérations similaires avec les autres pays de la région comme le Japon, Singapour et la Malaisie, comme c’est le cas au niveau humanitaire et sécuritaire avec l’Australie. L’objectif est de ne pas se retrouver marginalisé par le QUAD. Cette stratégie passe notamment par le développement du MDA français.
Enfin, il est temps que la France incite l’UE à développer une réelle stratégie en Indopacifique. Des efforts ont été faits avec les conclusions du Conseil de l’UE en 2021 et la création du CREMARIO II mais l’investissement est encore insuffisant. La France constitue un atout stratégique important pour l’UE et doit convaincre cette dernière d’aller plus loin dans son implantation dans le Pacifique et en Afrique. Celle-ci passe par la création de nouvelles bases et une affirmation claire de l’UE aux côtés de la France afin de former une force crédible autonome.
