L’eau : un facteur de sécurité pressant et exacerbant les tensions régionales au Sahel

Note de breffage politique rédigée par Gabrielle Bernier, étudiante au Baccalauréat en Science Politique à l’Université Laval dans le cadre du cours de Prof. Anessa Kimball (POL-2333 : Sécurité Internationale).


Objet : Appel à l’action du Conseil de Sécurité des Nations Unies pour faire face à la crise de la gestion des ressources hydriques en Afrique.

 

Résumé : Ressource naturelle indispensable à la vie sur terre, l’eau est devenue une denrée rare et mal répartie dans de nombreuses régions du monde, notamment en Afrique et particulièrement entre les pays du Sahel. Les grands bassins versants du Nil, du Niger et du Tchad, partagés entre de nombreux États de puissance inégale, sont le théâtre d’une hydrodiplomatie peu efficace, voire inquiétante. La mauvaise gestion des ressources hydriques en Afrique constitue un enjeu majeur pour la sécurité nationale dans de nombreux pays du continent. Cette situation précaire fragilise la stabilité politique, économique et sociale, ce qui menace d’entraîner des conflits internes et transfrontaliers susceptibles d’engendrer des répercussions régionales et internationales.

Télécharger le format pdf ici.


CONTEXTE

L’Afrique est confrontée à des défis importants en matière de gestion des ressources hydriques, notamment une disponibilité inégale, une utilisation non durable et une pollution croissante. Les effets du changement climatique, tels que les sécheresses prolongées et les inondations imprévisibles, aggravent encore cette situation déjà précaire. En effet, fin 2022, selon les données du joint monitoring programme (JMP) près de 38 millions de personnes vivant au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie, au Niger et au Tchad ne bénéficiaient pas d’un accès à l’eau potable tandis que 68 millions de personnes n’avaient pas accès à un assainissement de base. Une des étapes cruciales entourant la question de l’eau fut de faire reconnaître par l’adoption d’une résolution de l’Assemble générale des Nations Unies, en juillet 2010, que l’accès à cette ressource est une condition préalable à tous les droits fondamentaux. Parallèlement, les tensions politiques et les conflits armés persistent sur le continent africain depuis longtemps déjà. Cependant, au défi que représente la persistance des conflits armés, s’ajoute celui de la montée sans cesse croissante du terrorisme en Afrique. Par ailleurs, une prise en charge conséquente et des mesures injonctives immédiates sont nécessaires afin de garantir ce droit et parallèlement répondre aux enjeux de sécurité pressants.

Implications pour la sécurité internationale :
  1. Instabilité politique : La rareté de l’eau peut aggraver les tensions et les conflits entre les populations locales, ce qui peut conduire à une instabilité politique régionale. Par exemple, en Afrique subsaharienne la problématique de croissance démographique mal maîtrisée exacerbe la pression sur les terres et sur l’eau et menace de faire escalader les tensions intercommunautaires.
  2. Migration forcée : Lorsque l’eau devient encore plus rare, les populations sont souvent contraintes de migrer, ce qui peut entraîner des conflits et des tensions socio-économiques. Les grandes périodes de sécheresse notamment dans la Corne de l’Afrique et au Madagascar provoquent d’importantes migrations, interafricaines ou internationales.
  3. Perturbations économiques : La rareté de l’eau compromet la sécurité alimentaire, la production agricole et les activités économiques, provoquant ainsi des crises sociales et politiques. Selon les derniers rapports du GIEC, les épisodes de sécheresse en Afrique australe sont amenés à se multiplier d’ici la fin du siècle, exacerbant corrélativement la rareté des ressources et les crises nutritionnelles.

 

ANALYSE

La mauvaise gestion des ressources hydriques en Afrique présente des implications sérieuses pour la sécurité nationale et régionale. Les pénuries d’eau peuvent conduire à des conflits internes entre les populations locales, ainsi qu’à des tensions transfrontalières entre les États riverains des bassins hydrographiques partagés. Ce fut le cas notamment en 2017, lorsque de graves sécheresses ont contribué à une crise humanitaire sans précédent, forçant 20 millions de personnes à travers l’Afrique et le Moyen-Orient à quitter leur domicile en raison de l’explosion de conflits et de la pénurie alimentaire. Par ailleurs, une étude récente menée par des chercheurs en systèmes d’eau établit que dans un scénario de statu quo, 920 millions de personnes devraient vivre dans des bassins à risque de conflit très élevé ou élevé d’ici 2050. Cette étude présente trois projections de scénarios mondiaux de risque de conflit dans les bassins fluviaux transfrontaliers en combinant les données de projection de scénarios sur les risques identifiés dans la littérature existante. En outre, l’incapacité à assurer un approvisionnement en eau adéquat compromet la sécurité alimentaire, la santé publique et le développement économique, ce qui participe nécessairement à l’instabilité sociale et politique à l’échelle nationale et internationale.

 

RECOMMANDATIONS

  • Adoption d’une résolution sur la gestion des ressources hydriques en Afrique : Le Conseil de Sécurité devrait adopter une résolution reconnaissant la crise de la gestion des ressources hydriques en Afrique comme une question de sécurité internationale et appelant à une action concertée de la part des États membres et de la communauté internationale pour y faire face.
  • Établissement d’un mécanisme de suivi et de médiation : Le Conseil devrait créer un mécanisme spécialisé chargé de surveiller la situation des ressources hydriques en Afrique et de faciliter la médiation des conflits liés à l’eau entre les États concernés, en collaborant avec les organisations régionales telles que l’Union africaine.
  • Soutien financier et technique : Le Conseil de Sécurité devrait appeler un soutien financier et technique accru pour aider les États africains à renforcer leurs capacités institutionnelles et techniques en matière de gestion des ressources en eau, notamment par le biais de fonds spéciaux et de programmes de coopération technique.
  • Promotion du dialogue et de la coopération régionale : Le Conseil devrait encourager les États membres à s’engager dans un dialogue constructif et à promouvoir la coopération régionale pour résoudre les différends liés à l’eau, en mettant l’accent sur la négociation d’accords de partage des ressources et le développement de projets conjoints de gestion des bassins hydrographiques.

 

CONCLUSION

L’enjeu de la gestion de l’eau et les implications de sécurité internationale et nationale que cela sous-tend nécessitent une action concertée et durable de la part de la communauté internationale, et en particulier du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Puisqu’il est compétent au premier chef pour constater l’existence d’une menace contre la paix, le Conseil de Sécurité peut contribuer de manière significative à atténuer les tensions autour de l’eau et à promouvoir la paix et la stabilité dans la région africaine, notamment en adoptant des recommandations ciblées et en facilitant la coopération entre les États concernés.

Affiche Note de breffage - Sahel & Eau
Publié le